Je m’appelle Amir (le nom a été modifié pour respecter la confidentialité de la personne). Je suis né en Afghanistan. J’ai dû fuir mon pays en guerre il y a des années.Après un long et dangereux périple, loin de mes proches, les autorités françaises ont accepté ma demande d’asile. J’ai obtenu le droit de rester, de travailler, de vivre.Fin 2019, mon petit frère, mineur, a dû lui aussi quitter nos racines et prendre seul le chemin dangereux de l’exil. J’apprends qu’il est alors en Grèce, qu’il est retenu et perdu quelque part. Je décide de partir à sa recherche sur place. J’ai en effet le droit de me déplacer en Europe.
En plein hiver, arrivé à Thessalonique après plusieurs mois de confinement liés au Covid, je suis contrôlé par des policiers grecs. J’explique ma situation : j’ai un titre de séjour et un document de voyage délivré par la France. Leur réaction est immédiate : ils m’arrêtent, me mettent dans un camion. Je suis alors dépouillé de tout, frappé lourdement et forcé à monter dans un canot de misère avec d’autres personnes que je ne connais pas. Je me retrouve côté turc quelques minutes plus tard.
Je comprendrais des mois après que j’ai été victime ce jour-là d’un renvoi illégal, d’un “pushback” vers la Turquie par le fleuve Evros.
Les refoulements (ou pushbacks) ne sont pas officiellement définis par le droit international. Il s’agit de mesures mises en place par un État pour repousser des personnes exilées de l’autre côté d’une frontière sans prendre en considération leurs circonstances individuelles et sans leur laisser la possibilité de déposer une demande d’asile. Les « pushbacks » peuvent entraîner une violation du principe du non-refoulement.
Le principe du non-refoulement constitue la pierre angulaire du régime de protection des personnes déplacées. Il signifie qu’en principe, les personnes ne doivent pas être renvoyées vers un pays dans lequel elles ont une raison de craindre des persécutions. Le principe de non-refoulement s’applique aussi bien au retour vers le pays d’origine qu’au retour vers un autre pays où la personne pourrait être persécutée.
Après de longs mois à survivre, j’arrive à repasser côté grec et parviens jusqu’à Athènes. Je contacte immédiatement la ligue des droits de l’homme en France – et une bénévole en particulier – qui m’épaule depuis des années. Elle ne lâchera rien et alertera tour à tour la préfecture en France, le service de l’asile français, une association d’aide juridique en Grèce pour sécuriser mon séjour et retour.
10 mois auront été nécessaires pour que j’obtienne un visa pour revenir en France. 10 mois pendant lesquels je n’ai reçu aucun soutien des organisations importantes sur place. Je n’avais plus rien, je vivais dans la peur constante.
Je n’ai jamais retrouvé mon petit frère.
Cette histoire est vraie, nous la partageons ici pour rendre compte de la réalité et de son absurdité.
Vous pensez que cette histoire est un cas isolé ?
Les membres d’ELA entendent trop souvent des témoignages de personnes renvoyées illégalement vers la Turquie. Notre connaissance, notre présence et nos réseaux européens sont alors cruciaux pour témoigner et accompagner les personnes dans l’exercice de leur droit et dénoncer ces pratiques inhumaines et illégales.
– 2022 semble enfin présenter un peu de lumière pour Amir qui a renouvelé son titre de séjour français et trouvé un nouveau travail –
En octobre 2021, le site InfoMigrants a publié le témoignage d’un policier grec ayant refoulé des personnes exilées à Evros. En voici un extrait :
“Depuis les années 1990, je pratiquais des pushbacks. Ici, ça se fait très souvent. La zone frontalière est militarisée, ce n’est pas compliqué, personne ne nous surveille. Je suis propriétaire d’un petit bateau sur l’Evros et j’étais en poste dans les villages frontaliers (…). Régulièrement, mes collègues m’appelaient pour me prévenir qu’ils allaient venir avec des migrants. Ils étaient généralement rassemblés par groupe de 10 environ.
Mon rôle était simple : je les faisais monter sur mon bateau, souvent à la tombée de la nuit, et je les ramenais vers les côtes turques. (…) L’immense majorité était des hommes. Ils venaient du Pakistan, d’Iran, de Syrie… Quand ils arrivaient, je n’avais pas besoin d’user de la force pour les faire monter sur mon petit bateau. Ils savaient qu’ils n’avaient pas le choix. Mais aucun d’eux ne voulait repartir. (…) Tout le monde était au courant de ce que je faisais.”
Retrouvez le témoignage en intégralité ici
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