Nasir* était étudiant à Khartoum, au Soudan, lorsque les forces de sécurité l’ont arrêté et torturé pour ses idées et activités politiques. Gravement blessé à la tête et à la colonne vertébrale, il souffre depuis de graves séquelles altérant sa mobilité mais également d’atrophie musculaire, de troubles de la mémoire et de la concentration. Nasir a demandé l’asile en Grèce en 2017. Compte tenu de son état de santé, il n’a pas pu expliquer les raisons de son exil et sa demande a été rejetée. Les autorités ont cependant reconnu qu’au Soudan, la situation sécuritaire et humanitaire se détériorait. Elles ont admis que Nasir courait le risque d’y être soumis à des traitements inhumains et dégradants étant donné la gravité de son état, le manque d’accès aux soins et infrastructures appropriés. C’est pourquoi elles ont préconisé la délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires.
Le permis de séjour pour raisons humanitaires est un titre de séjour particulier qui peut être délivré en dernier recours à des personnes dont la demande d’asile ou de protection subsidiaire a été rejetée mais à qui on accorde le droit au séjour par exemple en raison de problèmes de santé graves ou de risque de traitements inhumains et dégradants dans le pays d’origine.
En décembre 2021, Nasir est informé que sa demande ne sera finalement pas examinée. En effet, une nouvelle loi, entrée en vigueur en 2021, abolit rétroactivement ce régime spécifique de protection. Or Nasir n’est éligible à aucun autre titre de séjour en Grèce. Il ne peut retourner au Soudan sans mettre sa vie en danger mais ne peut résider légalement en Grèce. Il ne peut exercer ses droits – à l’asile, à des soins de santé, à un logement – ni travailler ou accéder aux services et biens de première nécessité indispensables à sa survie. Sans-papiers, il peut être arrêté et détenu (même consécutivement), sans pour autant être “expulsable”. Autrement dit, Nasir est contraint de (sur)vivre en Grèce dans une précarité absolue et ce pour une durée indéterminée.
La situation de Nasir peut être décrite comme un vide ou une limbe juridique. Cet aphorisme, tiré de l’anglais “legal limbo”, décrit la situation des personnes ne pouvant être ni régularisées ni expulsées. Elles n’ont pas de titre de séjour, soit que celui-ci leur ait été refusé, soit qu’elles n’y soient pas éligibles mais ne peuvent pas rentrer volontairement dans leur pays d’origine ni y être déportées.
Ces personnes ne sont plus des sujets de droit mais des parias et survivent dans un état d’exclusion et de misère total. Alors que dans nos sociétés occidentales, la perte d’une seule vie est considérée comme politiquement et idéologiquement intolérable, leur vie n’a aucune valeur.Nous avons eu la chance de rencontrer Nasir et d’être inspirés par sa force. Nous l’avons représenté en justice et avons obtenu de la Cour d’Appel qu’elle délivre une ordonnance provisoire lui permettant de rester légalement en Grèce jusqu’à ce que son cas soit réexaminé. Grâce à cette ordonnance, Nasir peut être hébergé dans un centre d’accueil pour sans-abri et accéder au régime de santé de base. Malheureusement, il y a beaucoup de personnes comme Nasir, si proches de nous et pourtant invisibles. Défendre l’accès de ces personnes à leurs droits fondamentaux est l’un des objectifs principaux d’ELA.Efstathia Laina, avocate*Le prénom a été modifié pour raisons de confidentialité.
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