L’histoire d’Amir, 3 avocates et 14 mois de procédures

Hier a eu lieu le Giving Tuesday (la réponse citoyenne au Black Friday). Comme vous tous, nous avons reçu des sollicitations de formidables associations.

Des journées comme celles-ci permettent de souligner la réalité de la vie associative : l’argent est un garant de la qualité du service, de la continuité du suivi des bénéficiaires et de l’indépendance politique, trois de nos principes moteurs.

Il n’y a pas de petit geste, il n’y a que de la solidarité. Dans l’infographie ci-dessous, nous avons listé les coûts de certaines des actions que nous mettons en oeuvre pour nos bénéficiaires. Durant le mois de décembre, nous continuerons notre campagne de levée de fond et nous proposons d’offrir l’accès aux droits fondamentaux. 

L’histoire d’Amir…

Amir F. a fui sa province natale du Takhar, au nord de l’Afghanistan, traversé seul l’Iran puis la Turquie, avant d’arriver sur l’île de Lesbos, en Grèce en octobre 2018. Il a alors 16 ans et est un mineur isolé. 

Un mineur isolé est une personne de moins de 18 ans se trouvant en dehors de son pays d’origine sans être accompagné d’un parent ou d’une personne exerçant l’autorité parentale. Sans représentant légal, un mineur isolé est vulnérable et a besoin d’une protection et d’un accompagnement spécifiques.

A Lesbos, Amir demande l’asile et est enregistré en tant que majeur. Il tente de corriger cette erreur, sans succès. En avril 2019, il parvient à ré-enregistrer sa demande, cette fois-ci avec les informations correctes. Il est enfin placé dans un logement près de Thessalonique, avec d’autres enfants.

Amir contacte ELA en septembre 2020. Il n’a reçu aucune information sur la procédure d’asile et il est anxieux. Son entretien de demande d’asile est fixé à janvier 2021. Amir, orphelin de père, explique qu’il s’est enfui à la demande insistante de sa mère, après avoir été « repéré » puis menacé par des hommes en armes afin de le soumettre à la pratique du «  Bacha Bazi » ou « garçon-jouet ». Il s’agit d’une forme d’esclavage sexuel répandue en Afghanistan et qui consiste pour des hommes influents à « acheter » de jeunes garçons et à en abuser de façon répétée. Cette forme de pédophilie est bien documentée. Qui plus est, la province dont est originaire Amir est instable et les attaques des Talibans contre les civils sont très fréquentes. 

En dépit de ces éléments, la demande d’asile d’Amir est rejetée. Notre équipe fait appel de cette décision en juin 2021. Nous soumettons un mémoire détaillant le «  Bacha Bazi », la détérioration de la situation sécuritaire dans le Takhar et des pièces supplémentaires démontrant les efforts d’Amir pour s’intégrer en Grèce : il a appris l’anglais et le grec, il a suivi des cours du soir pour rattraper son retard au lycée et passer son baccalauréat. Amir a même fait l’impensable : il a trouvé du travail chez un courtier en assurance. 

En juillet 2021, les Talibans prennent le contrôle de l’Afghanistan. En août, les scènes de panique à l’aéroport de Kaboul font le tour du monde et les brèves se succèdent dans la presse internationale. 

Pourtant, fin août 2021, le comité d’appel rejette à nouveau la demande d’Amir : il peut être renvoyé en Afghanistan en toute sécurité, la situation y étant « sûre ». Pour justifier cette décision, le Comité se base sur des rapports datant de … 2019. 

Immédiatement, les papiers d’Amir lui sont retirés. Il perd son logement et son travail. Il devrait être « renvoyé » mais l’ONU interdit toute déportation vers l’Afghanistan jusqu’à nouvel ordre. Amir est à nouveau sans ressource et sans abri. Il peut à tout moment être refoulé en Turquie ou placé en détention en tant que « migrant illégal ».

Nous décidons de faire de nouveau appel de ce second rejet en octobre 2021 Nous préparons une requête préliminaire afin qu’Amir récupère ses papiers et une requête en annulation de la décision de rejet de sa demande d’asile. A ce jour, Amir n’a toujours pas obtenu l’asile, la date de son audience n’est pas encore connue.

Cela fait 14 mois que l’association suit le sort d’Amir. 3 avocates ont travaillé sur son dossier. Elles sont intervenues avant son entretien, après son premier rejet et son second rejet. Le coût total de la procédure devant la Cour d’Appel est de 804€. Une somme absolument impossible à rassembler pour un jeune homme dans la situation d’Amir. Soutenir ELA, c’est permettre à Amir d’exercer ses droits élémentaires. Son dossier particulièrement choquant coche, à l’instar de tant d’autres, toutes les conditions d’octroi du droit d’asile.  Encore faut-il lui en donner les moyens ; nous soutenir permet d’éviter que les grands principes des conventions internationales rebattus par nombre de politiques, lorsqu’ils y ont intérêt, ne restent pas lettre morte.

Photo © Jérôme Fourcade

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